vendredi 19 novembre 2010
Afghanistan - Oui, on pourrait gagner la guerre contre les Talibans
Oui, en Afghanistan on pourrait gagner la guerre contre les Talibans,mais qui le souhaite vraiment ?
Le colonel René Cagnat,ancien attaché militaire en Asie centrale, docteur ès sciences politiques (IEP Paris 1983), maîtrise de russe (Sorbonne 1979), breveté technique de l’Ecole de guerre en 1982, nous apporte ses connaissances sur une région où bouillonne une fois encore le « Grand Jeu »...Comprendre les « fondamentaux.
En Afghanistan les Américains, avec près de 30 000 hommes, continuent à mener non sans raison la guerre du ressentiment. Les Européens en revanche, qui n’alignent pas moins de 20 000 soldats, sont surtout concernés en cette terre lointaine par la drogue contre laquelle ils devraient lutter plus fermement.
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S’il s’agit de gagner ce combat, l’objectif prioritaire doit être le « nerf de la guerre talibane», ces milliards de dollars que rapporte la vente, surtout en Europe, des 600 tonnes annuelles d’héroïne afghane. Avec cet argent les Talibans équipent, arment et rémunèrent les révoltés pachtouns, se procurent les services de spécialistes pointus, notamment pour les explosifs, tout en préparant l’acquisition de missiles anti-aériens qui, comme les stingers américains de naguère, pourraient un jour emporter la décision.
Que la culture du pavot cesse et les Talibans ne pourront plus soutenir l’effort de guerre que par leurs stocks d’héroïne.
La question qui se pose dès lors est de savoir si on peut éradiquer le pavot et détruire les stocks.
La première opération est réalisable si l’on procède énergiquement avec l’aide d’un gouvernement afghan décidé et des 100 000 hommes de la Police et de l’Armée nationale afghane (ANA) en cours de formation: l’éradication n’a-t-elle pas été effectuée en deux ans, de 1999 à 2001, par les Talibans eux-mêmes qui, au nom du Coran, s’étaient mis à lutter contre la drogue ? Dans ce but, ils ont été expéditifs: les cultivateurs de pavot ont été menacés de la peine de mort et des exécutions publiques ont eu lieu. Résultat : dès 2001 la zone talibane n’était plus productrice d’opium.
GRAPHIQUE DE PRODUCTION ET DE CONSOMMATION D'OPIUM
La destruction des laboratoires de fabrication et des stocks est plus difficile car les uns et les autres sont disséminés dans les localités. Dans ce cas, même si l’on sait où se trouvent ces laboratoires et ces stocks, les frappes aériennes ne peuvent être « chirurgicales ». Il y aurait beaucoup de dégâts collatéraux dans ce qui deviendrait une guerre impitoyable. Pourtant l’appareil de production de narcotiques serait vite détruit et, en deux ans, les stocks fondraient.
Une telle action exige que nos troupes quittent les camps fortifiés où, à l’imitation des Américains, elles se sont enfermées laissant les révoltés contrôler la moitié du territoire: 11 000 soldats à Bagram, 8 000 à Kandahar, autant à Kaboul, Djallalabad, etc, se morfondent à l’intérieur de points d’appui vulnérables comme, jadis, Danang ou Dien-Bien-Phu …
REPARTITION DE L'OTAN SUR LE TERRITOIRE AFGHAN
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LA BASE DE BAGRAM
LA BASE DE KANDAHAR
En dehors de ces « valets d’arme », l’effectif des troupes en mesure d’être engagées sur le terrain ne dépasse pas 10 000 h, ce qui est notoirement insuffisant. En fait, avec 25 000 véritables combattants, il faudrait recourir à un éclatement en petites garnisons de deux à trois cents hommes, épaulés par des unités de l’ANA, dans tous les districts « chauds » de la moitié sud du pays. L’appui aérien serait intensifié et le droit de poursuite utilisé dans la zone tribale pakistanaise, refuge notoire des rebelles. Parallèlement, les paysans ayant perdu leur gagne-pain seraient indemnisés et équipés pour de nouvelles cultures de substitution.
Tel est le prix à payer pour une guerre de pacification ayant quelques chances de réussite.
Qui est prêt à une telle action ? Personne !
Il faut tout d’abord constater que les interventions menées de nos jours, où que ce soit, contre la drogue sont étonnamment pusillanimes. Du producteur afghan au consommateur européen, le trafic porte sur des dizaines de milliards de dollars. Il suscite des profiteurs directs, éminemment condamnables, mais aussi et surtout des bénéficiaires indirects qui ne se sentent pas coupables. A Istanboul, Londres, Rome ou Paris, sur la Côte d’azur ou la Costa brava, des institutions influentes, financières ou commerciales, ont pris l’habitude de fonctionner avec un argent douteux et n’entendent pas voir disparaître ce revenu. Le malaise économique est tel aujourd’hui que le déséquilibre qui résulterait d’une attaque frontale contre l’opium pourrait être la goutte faisant déborder la coupe des désordres. Et d’aucuns s’ingénieraient alors à profiter de la crise pour en revenir à la situation actuelle: une sorte de cohabitation secrète avec la drogue.
Par ailleurs, bien peu d’armées sont prêtes à en découdre avec les Talibans. Chaque nation impose des restrictions d’emploi spécifiques pour le contingent qu’elle octroie à tel point que l’OTAN, qui dirige la coalition, a bien du mérite à mener malgré tout des opérations. De toute façon, comment un soldat casqué, engoncé dans un gilet pare-balle, surchargé d’un invraisemblable bric-à-brac et qui emporte boisson et nourriture, peut-il rivaliser en montagne avec un guerrier équipé d’une seule kalachnikov, de quelques chargeurs, qui connaît le terrain et vit sur le pays? Le contrôle du ciel dont disposent encore les Occidentaux n’est pas suffisant pour compenser ce désavantage terrestre.
Dans ce contexte, il ne resterait plus qu’à envisager le maintien du «conflit de moyenne intensité » : il devrait permettre d’attendre la relève prévue en 2010 par l’Armée nationale afghane. Tout le monde y trouverait son compte, même les drogués ! L’inconvénient est que certains fanatiques ne l’entendent pas de cette oreille et augmentent la violence des combats. En même temps, la corruption et le pourrissement qui résultent des trafics continuent à gangrener tout le pourtour de l’Afghanistan quand ils ne gagnent pas jusqu’à nos banlieues. La contagion est telle qu’un jour viendra où nous serons obligés de mener pour de bon la guerre contre la drogue, mais, à force de reporter les échéances, cette lutte n’aura plus lieu en terre afghane mais chez nous !
René CAGNAT, Colonel (e.r.), ancien attaché militaire en Asie centrale
Une arrivée en avion à Kaboul remet en mémoire Dien-Bien-Phu. Les dimensions de la vallée, les contreforts qui la dominent, l’aéroport hérissé de défenses et jusqu’aux points d’appui adossés aux axes d’entrée, tout cela remémore la cuvette où nos soldats connurent, en 1954, le désastre et la gloire.
ARRIVEE EN AVION A KABOUL,(remémorise Dien-Bien-Phu)
La ressemblance ne s’arrête pas là. La capitale afghane, peuplée aujourd’hui de trois millions de quasi réfugiés, passe à l’état de siège : alors que les Talibans s’infiltrent dans la population, les routes d’accès se ferment. Les Etats-Unis et l’OTAN vont jusqu'à payer indirectement les insurgés pour obtenir l’approvisionnement terrestre de la garnison.
Les Américains sont si conscients de la gravité de la situation qu’ils augmentent d’un tiers leur contingent par un renfort de 17 000 hommes qui sera déployé au printemps au sud de l’agglomération.
Notons que l’environnement populeux de Kaboul est mille fois plus dangereux que celui, agreste, de Dien-Bien-Phu : il permet d’installer des commandos auprès des points d’appui et fournit le terreau d’un fanatisme qui pourrait submerger les défenseurs. Le seul fait qui puisse reporter de quelques années l’échéance de cet assaut est l’extrême lassitude du peuple afghan épuisé par trois guerres successives.
Attentat suicide à Kaboul le 07-07-2008
Le peuple afghan, au fil de son histoire, a plusieurs fois illustré sa capacité à chasser les étrangers.
Il est facile d’envahir l’Afghanistan, pays divisé dans lequel on peut toujours s’appuyer sur une faction. Mais le tenir est une autre affaire ! L’Afghan, en effet, et en particulier le Pachtoun, se caractérise par une xénophobie latente. Pour peu que le nouveau venu fasse preuve d’arrogance, pour peu qu’il n’appartienne pas à l’islam, et voici l’unité qui se reconstitue contre lui. Les Anglais qui ont essuyé en moins d’un siècle, de 1838 à 1921, trois échecs en s’aventurant en pays pachtoun, auraient dû s’en souvenir. Mais non ! Quel Anglo-saxon revenu à Kaboul s’est rappelé le désastre infligé en 1842 aux 4500 hommes du premier corps expéditionnaire britannique ?
Puisse nos troupes de l’OTAN se retirer à temps ! Sinon, notamment à Kaboul, comment faire face à des foules fanatisées ?
Aujourd’hui déjà, il y a pléthore de volontaires pour les attentats par kamikazes alors même que l’armement des Talibans s’améliore.
Comme à l’état-major de Saïgon où prévalait le point de vue selon lequel le Viet-Minh ne pourrait installer son artillerie lourde autour de la cuvette, domine de nos jours à l’OTAN l’opinion que les insurgés ne pourront se procurer les missiles anti-aériens qui leur permettraient d’acquérir la supériorité.
MISSILE AMERICAIN STINGER
Or nombre d’ex-Soviétiques, humiliés naguère par les stinger remis aux mujjahidines, rêvent d’agir de même avec les révoltés.
Par ailleurs, on signale de ci de là l’utilisation en Afghanistan des premiers missiles sol-air achetés sur le marché parallèle…Que deviendront les points d’appui isolés par les insurgés lorsque les hélicoptères ne pourront plus assurer le ravitaillement ?A quoi bon insister ?
La guerre a été perdue dès novembre 2001. Le peuple afghan, révulsé par la dictature des Talibans, venait pourtant d’accueillir avec curiosité sinon bienveillance –hospitalité oblige- ces étrangers qui promettaient d’apporter le renouveau et la richesse. Hélas ! A peine les Américains étaient-ils arrivés qu’ils procédaient à des bombardements massifs.Depuis, les Etats-Unis et, à leur remorque, l’OTAN, n’ont cessé d’accumuler les fautes graves. Ils n’ont pas lutté contre la culture du pavot qui finance de plus en plus l’insurrection. Ils n’ont pas établi un contact suffisant avec la population. Enfin, alors qu’ils avaient affaire à une société médiévale, ils ont promu un système démocratique inadapté, assorti d’un pouvoir fantoche : seule la famille royale, autour du roi Zaher Shah, avait l’aura et le savoir-faire nécessaires pour brider les seigneurs de la guerre et lutter contre la corruption.
Malgré l’aggravation de la situation, les Américains s’accrochent. Ils le font surtout parce que leurs bases dans la région leur offrent un pivot idéal pour prendre à revers aussi bien l’Iran ou la Chine que la Russie. Devant l’importance de l’enjeu, ne vaudrait-il pas mieux, au nom de l’efficacité, qu’ils se désengageassent, sinon des bases de Bagram et de Kandahar, du moins de Kaboul trop menacé ?
Ils retrouveraient ainsi une liberté de manœuvre leur permettant, entre autres, de mieux lutter contre la culture du pavot. Que les Russes et les Chinois – et, à travers eux, l’Organisation de coopération de Shanghaï - soient alors obligés d’intervenir serait logique : l’insécurité afghane n’est-elle pas, d’abord, le problème des pays de la zone ?
Si les Américains persistent dans leur guerre, une question se pose, pour nous Français comme pour nos comparses de l’OTAN : comment tirer notre épingle d’un « très grand jeu » qui, pour l’instant, ne nous concerne pas ?
Attendons que cette guerre s’effectue réellement contre la drogue. Alors, mais alors seulement, notre devoir sera d’y participer. René Cagnat
°Colonel René Cagnat, auteur de La rumeur des steppes (Payot), s’est retiré au Kirghizstan d’où il suit l’évolution de la situation en Asie centrale
JJ ALEX